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Ce que l’on n’entend plus dire, ce que l’on ne répète pas assez…

Article publié le 11 février 2023 par Père Jérôme MONRIBOT dans Billets spirituels

Frères et sœurs bien aimés de Pour l’Unité,

La 1re lecture de ce dimanche (5e dimanche ordinaire A) reprend le thème bien connu des deux voies : celle du bonheur et celle du malheur. Invariablement, en effet, quelles que soient les époques, ces deux voies s’imposent naturellement à la conscience de l’homme dès qu’il s’agit pour lui d’exercer sa liberté.

La liberté humaine par conséquent, est le signe de la grandeur de l’homme au sein de l’ordre de la création. Elle est aussi, tragiquement, le signe de sa déchéance dans celui de la grâce. Le bien que je veux faire, dit saint Paul, je n’arrive pas à le faire. Mais le mal que je veux ne pas faire faire, je le fais malgré tout. La liberté de chacun est ainsi le sanctuaire, par excellence, où sont appelées à se rejoindre la grâce divine et la misère humaine.

L’objectivité du libre-arbitre est aussi pour l’homme un miroir à travers lequel sa conscience réflexive lui permet de se percevoir comme un être libre, à l’image et à la ressemblance de Dieu. Libre, c’est-à-dire capable de s’autodéterminer, capable de transcender ses instincts et ses inclinations naturelles, y compris les plus nécessaires. Par sa liberté, en effet, l’homme peut signifier la consécration de sa vie à Dieu par un célibat librement choisi, par un martyre librement consenti. Il peut aussi exprimer la transcendance de sa liberté par le jeûne et la prière.

Ainsi, par exemple, jamais un animal, contrairement à l’homme, n’aura la possibilité de se dire : « Tiens, et si je jeûnais aujourd’hui ? » Ou bien encore : « Tiens, et si je consacrais un jour chaque semaine à mon Créateur ? » C’est pourquoi la Bible nous enseigne que le jeûne et la prière sont spécifiquement deux actes humains à travers lesquels se manifeste et s’atteste la liberté de l’homme. Par conséquent, comme l’affirme ailleurs le Christ, le jeûne et la prière sont deux moyens, le premier : matériel et le second : spirituel, en vertu desquels l’homme peut éduquer et exercer l’emprise de sa liberté contre certaines forces occultes qui n’ont qu’un désir, viscéral : aliéner son âme jusqu’à sa perte.

Aussi, malgré la condition fragile de sa propre liberté, l’homme doit s’efforcer à exercer son libre-arbitre conformément à la volonté de Dieu qu’exprime la Loi mosaïque. Mais prenez garde, dit toutefois Jésus, à ce que votre justice puisse surpasser celle des scribes et des Pharisiens, sans quoi vous n’entrerez pas dans le Royaume des Cieux.

Quelle est donc cette justice des scribes et des Pharisiens que Jésus semble tenir en si piètre estime ? En réalité, les scribes et les Pharisiens étaient passés maîtres dans l’interprétation des commandements divins, constituant, au fil des années, une interminable jurisprudence dans laquelle ils excellaient, à grands renforts de citations rabbiniques : « Fais ceci ou cela à la virgule près, comme on te le dit et comme on te le répète et tu auras la vie » enseignaient-ils. Triste morale d’obligation qui, en fait, révélait à l’homme son impuissance totale à respecter les commandements divins. C’est ainsi que la Torah des Pharisiens, pour les petites gens ordinaires, devenait un joug insupportable et un pesant fardeau.

Mais en vérité, la signification profonde de la Torah de Moïse dépassait le simple cadre restrictif de ses préceptes et de sa jurisprudence. Le rôle de la Loi divine, en effet, était d’interpeler collectivement la conscience des hommes à la responsabilité qu’implique leur liberté à l’égard du bien universel qu’ils doivent accomplir.

Cet appel à la responsabilité morale constitue ainsi le cœur du sermon de Jésus sur la montagne et dont nous poursuivons la lecture ce dimanche encore. Pour que notre conduite soit foncièrement bonne, en effet, il ne suffit pas d’observer matériellement telle ou telle chose, comme le jeune homme riche que Jésus interpelle… Il faut aussi y mettre du cœur. Aime et fais alors ce que tu veux, enseignait saint Augustin. Cela est particulièrement vrai pour la messe. Est-ce que j’y viens par obligation ou bien parce que j’ai perçu que c’était un rendez-vous d’amour pour le Seigneur épris de mon âme ? Aussi Jésus nous propose-t-il, ce matin, sa propre Torah qu’il nous faut cependant traduire au quotidien :

Bien qu’on nous ait dit et répété : « Tu ne commettras pas de meurtre ! » – sommes-nous, au-delà de ce qu’exprime ce commandement, responsables de la liberté de parole dont j’use envers mon prochain, mon époux, mon épouse, mes enfants, mon curé ?… Car certaines paroles, il est vrai, peuvent gravement blesser autrui.

Bien qu’on nous ait dit et répété : « Tu ne feras pas de faux serments ! » – sommes-nous, au-delà de ce qu’exprime ce commandement, responsables de la liberté de nos engagements pris, vis-à-vis du sacrement de mariage que nous avons reçu, de l’éducation chrétienne de nos enfants, de notre sacerdoce baptismal dont nous devons déployer les richesses au service de notre paroisse ?

Bien qu’on nous ait dit et répété : « Tu ne commettras pas d’adultère ! » – sommes-nous, chacun, au-delà de ce qu’exprime ce commandement, responsables de la fidélité de notre amour conjugal, du don que mon époux ou mon épouse m’a fait jadis à travers le don de sa propre personne ? Sommes-nous responsables de la foi que le Seigneur a infusée dans notre cœur ? N’avons-nous pas plutôt tendance à commettre quelques idolâtries avec le sexe ou l’argent… ?

L’Évangile de ce dimanche est ainsi un appel à la responsabilité de notre liberté, qu’aucune loi, aussi exhaustive soit-elle, ne pourrait résumer en quelques préceptes. Il en va, souvenez-vous, de notre entrée dans le Royaume des Cieux.

En définitive, peut-être y a-t-il quelque chose qu’on ne dit plus tellement ou qu’on ne répète pas assez en notre siècle et dans nos églises : c’est la possibilité réelle qu’à l’homme de perdre son âme en mésusant de sa liberté.

Dès lors, frères et sœurs bien aimés, redoublons d’ardeur à faire le bien, particulièrement à travers les trois appels à la responsabilité que j’ai développés pour vous à travers ce sermon.