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Discours et vérité : quand la forme prime sur le fond

Article publié le 11 mars 2016 par Pour l'Unité dans Chronique @

Même les technologies les plus sophistiquées sont vulnérables. Un évènement l’a prouvé le 4 novembre dernier : une éruption solaire a paralysé le système de détection radar de certains aéroports suédois[1]. Le cerveau humain n’en finit pas de nous étonner par les extraordinaires potentialités qu’offrent ses innombrables connexions neuronales. Pourtant, lui aussi peut arriver à saturation quand un flux d’informations incessants et contradictoires le soumet à une véritable « éruption médiatique ». Il perd alors cette capacité à penser le réel et à agir, pourtant essentielle au fonctionnement durable de toute démocratie.

Brouillage intellectuel

Connectés en permanence à la sphère médiatique, nous sommes brouillés par des ondes que nous risquons d’absorber sans réel discernement.

Tout dirigeant ou candidat à une élection majeure en est persuadé : la communication politique est devenue une stratégie d’une efficacité redoutable, une arme de domination massive agissant comme un rouleau-compresseur. Elle adopte un champ lexical structuré et trouve en face d’elle des citoyens en panne de repères. Car, dans le même temps, la « transmission du savoir », gage de liberté, peine à fonctionner dans notre société post-moderne[2].

Nous avons bien tous à l’esprit des exemples éloquents : ces phrases qui sonnent creux ou ces affirmations proclamées avec une assurance déconcertante (les « valeurs républicaines qui sont les nôtres »)[3]. Et si le politique doit éviter les représentations simplistes du monde qui nous entoure, il doit aussi employer avec parcimonie ces injonctions contradictoires qui court-circuitent notre pensée (notamment le fameux « faire plus avec moins » que l’on entend dans les administrations publiques). De telles formules agissent un peu comme un automobiliste qui passerait son temps à freiner et accélérer, rendant ainsi par sa conduite ses passagers malades.

Quant au débat d’idées, véritable baromètre d’une démocratie, il s’est transformé en un monologue, où le citoyen est réduit à la passivité. Car, quand il ne se liquéfie pas en l’étalage de scandales, il est souvent monopolisé par des intellectuels proclamés. Ceux-là même tiennent le haut du pavé (…qu’ils n’ont pas relâché depuis mai 68) pour échanger notre liberté intérieure contre leur prêt à penser.

Pourtant, notre conscience nous pousse à décrypter les hypocrisies et mensonges qui émaillent le discours politique et le rend inaudible. À l’écoute de cette petite voix intérieure nous disant que « la vérité rend libres » et nous rendant parfois nostalgiques de ces chefs capables de recul et de sincérité dans les épreuves (Churchill en 1940). [4]

Un bol d’air pur pour le Carême

Les langues de « bois » fournissent un combustible très efficace : elles s’embrasent si facilement qu’elles épaississent un peu plus le nuage de la pollution mentale et intellectuelle.

De fait, l’enjeu est bien l’« écologie intégrale » chère au pape François, car le développement durable ne peut se réduire à des actes symboliques. La communication politique doit être elle-même durable. Et rendre à la parole publique toute la noblesse est vraiment nécessaire pour que nos pouvoirs publics soient crédibles.

Nous le savons : l’air pur se trouvant généralement en altitude, il faut élever le débat pour gagner en lucidité. En se servant de la foi et de la raison comme une colombe de ses ailes, nous pourrons contempler la vérité[5]. Mais il faut accepter pour cela de « se défaire de kilos en trop », notamment ces branchements à la sphère médiatique et à internet qui créent de la dépendance et nous freinent dans notre ascension.

Concrètement, nous pouvons chercher à recréer de la « médiation » autour de nous : lors d’un café, avec nos collègues, en apportant un éclairage par le haut. Comme par exemple aborder un discours ou un projet politique avec une distance critique, en évitant toute polémique, tout préjugé inutile… simplement en y relevant les contradictions. Témoigner de la vérité dans nos paroles, c’est ainsi en quelque sorte transformer nos « radars passifs » en des « antennes émettrices » !

Finalement, la COP 21 aura un impact positif si elle débouche sur une prise de conscience réelle de cette pollution invisible qui envahit les débats. Que nos dirigeants adoptent un franc-parler, un langage concret et authentique ! Bref, une certaine sobriété qui ne sera que profitable à la santé de notre démocratie.

Et le Carême peut contribuer à cette « purification des esprits » nécessaire pour nous approcher du Mystère du Christ, dans lequel se trouvent « tous les trésors cachés de la sagesse et de la connaissance » (Col 2, 2-3). Ces trésors, Jésus déploie toute une pédagogie pour nous les rendre accessibles par un langage véridique, simple, universel, imagé, concret, plein d’espérance et de joie… et non réservé à une élite.

En conclusion

La démocratie repose normalement sur le consentement de la majorité et présuppose logiquement l’existence d’un débat public, sans tabou, sur tous les enjeux de société. Nous ne pouvons dès lors accepter que la communication politique nous réduise au silence, qu’elle devienne une politique à part entière.

Alors, élevons notre regard vers le Ciel. Dans l’obscurité, Marie, Étoile du matin, nous guidera vers Jésus, le Verbe incarné, la Parole vivante en qui coïncident pleinement le dire et le faire. En cette année de la Miséricorde, souhaitons que nos dirigeants en fassent de même, afin que la parole publique soit purifiée et retrouve sa raison d’être : agir concrètement pour le Bien public, dans une vision de long terme.

Pol Denis

[1] www.nouvelobs.com/a-chaud/11444-suede-erruption-solaire

[2] Un excellent ouvrage sur le sujet : Les déshérités, de François-Xavier Bellamy – Plon

[3] Leurs auteurs les voudraient « auto réalisatrices »… contre toute évidence (la diversité des points de vue concernant les droits de l’homme, selon les cultures et les religions).

[4] Au moment de l’invasion allemande de la Belgique et de la France, il déclarait devant la chambre des communes le 13 mai 40 « Je n’ai rien d’autre à offrir que du sang, de la peine, des larmes et de la sueur ».

[5] Encyclique Foi et raison (1er alinéa), pape Jean-Paul II, http://w2.vatican.va/content/john-paul-ii/fr/encyclicals/documents/hf_jp-ii_enc_14091998_fides-et-ratio.html