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L’esprit de pénitence

Article publié le 2 février 2020 par Père Jérôme MONRIBOT dans Billets spirituels

Si le temps du Carême est une période privilégiée de l’année pour faire pénitence, ce mot, pour beaucoup d’entre nous, est souvent synonyme de privations extraordinaires ou d’ascèse. On oublie trop souvent, dès lors, que la pénitence est avant tout une vertu indispensable pour accueillir la Bonne Nouvelle du Salut. Autrement dit, la pénitence est foncièrement un état d’esprit – une disposition intérieure – avant d’être une démonstration extérieure d’austérité. Ainsi, par exemple, aux Pharisiens qui lui reprochaient de souper avec les pécheurs plutôt que de faire pénitence pour eux, Jésus avait déclaré : « Allez apprendre ce que signifie cette parole : ‘‘C’est la miséricorde que je désire, et non les sacrifices.’’ Cf. (Mat., 9, 13). »

Cette dernière citation de notre Seigneur est en fait une réminiscence du prophète Osée (6, 6) : « Car j’aime la piété et non les sacrifices. Et la connaissance de Dieu plus que les holocaustes. » Cette parole résume, pour ainsi dire, l’enseignement des prophètes qui, tout au long de l’Ancien Testament, n’auront de cesse d’appeler le peuple au repentir, que ce soit pour des péchés personnels ou des péchés collectifs. 

La notion de « repentir » est donc inséparable de toute démarche pénitentielle authentique. Elle en constitue le cœur ou plus exactement la source et le sommet. Et, il n’est pas superflu de le rappeler, sans véritable contrition, toutes nos privations, jeûnes, prières ou aumônes s’apparenteraient plus à quelques grimaces religieuses de notre âme. Maintenant, en quoi consiste la pénitence ?

La pénitence, nous l’avons dit, a pour matière le péché que saint Augustin définissait comme aversio Dei et conversio ad creaturam. Comprenons : Le péché, c’est quand l’homme se détourne de Dieu pour préférer les biens créés de ce monde. 

Chaque fois que nous fautons, en effet, notre péché n’atteint pas seulement notre propre bien ou celui des autres. Il touche également Dieu dans la mesure où il porte délibérément atteinte à son amour (tel que ce dernier est signifié à travers ses commandements que le pécheur transgresse) et à ses prévenances (telles que ces dernières nous sont offertes à travers le don de ses grâces auxquelles le pécheur fait obstacle). 

C’est, du reste, le sens du Confiteor tel qu’il est formulé dans le rite de la messe en forme extraordinaire : « C’est ma faute, c’est ma faute, c’est ma très grande faute. » 

Il ne s’agit pas là d’entretenir une culpabilité maladive et exagérée, comme certains esprits l’ont parfois trop hâtivement affirmé, mais plutôt d’exprimer une authentique démarche pénitentielle, telle que l’Église la sous-entend pour nous permettre d’accéder dignement au sacrement de l’Eucharistie. 

Parce que nous avons péché aux yeux de notre propre conscience, de celle des autres et devant Dieu, nous confessons alors, dans un unique aveu, notre triple culpabilité. Ce qui est en jeu dans cette formulation, c’est la dimension communautaire et théologale du pardon.

Toutefois, si ce repentir, à condition qu’il soit sincère, est suffisant pour compenser les péchés véniels en vue d’une proche communion, il n’en va pas de même pour les péchés mortels. Ceux-là, en effet, nécessitent de recourir préalablement au sacrement de la réconciliation et de la pénitence. La raison est simple : l’homme ne saurait trouver en lui-même suffisamment d’amour pour compenser de trop graves offenses. Pour rentrer effectivement en grâce, il aura donc besoin d’une grâce spécifique qu’il pourra sacramentellement recevoir moyennant l’absolution d’un prêtre. Cette absolution peut être collectivement offerte en certaines circonstances, bien établies par le droit canonique de l’Église. Mais, ordinairement, le pénitent est appelé à la recevoir de manière individuelle. 

Pour conclure ces quelques précisions, l’Église demande à ses enfants de recevoir cette absolution au moins une fois par an, avant de communier à la messe de Pâques. Nous aurions donc tort de nous priver d’un si beau sacrement !

Formellement, enfin, la pénitence est un état d’esprit, une affliction de l’âme, contristée d’avoir offensé Dieu par quelques péchés, véniels ou mortels. Aussi, avant de s’exprimer au dehors par différentes mortifications corporelles ou privations quelconques, la pénitence relève d’abord et essentiellement d’une disposition intérieure de notre esprit qui, affligé d’une faute commise, s’efforce, autant qu’il est en son pouvoir, d’en réparer les conséquences. 

Cette affliction peut tout aussi bien porter sur une faute présente qu’on déplore mais également sur une faute passée qu’on regrette ou bien encore sur des conséquences à venir qu’on souhaiterait toutes autres. C’est pourquoi la pénitence peut être motivée par diverses raisons, hiérarchiquement ordonnées entre elles. 

D’abord, la honte causée par l’évidence des fautes commises. Le pénitent expérimente en lui-même l’impression de tristesse que laisse dans l’âme la conscience du péché. Se sentant dépouillé de sa dignité, il éprouve douloureusement sa nudité et sa vulnérabilité, à l’exemple d’Adam et Ève (cf. Gen., 3). Comme le fils prodigue de la parabole (cf. Luc, 15), le pénitent souhaite vivement revenir vers Dieu, quitte à s’humilier devant lui. C’est ce qu’on appelle l’attrition.

♦ Puis survient, en deuxième lieu, la crainte d’une sanction à venir, en compensation de la faute commise. En effet, devant la peine qu’il encourt, le pénitent éprouve alors le besoin de corriger sa conduite, avec la ferme volonté de ne plus recommencer. Ainsi, par exemple, craignant l’imminence d’une colère divine, les foules accourraient-elles auprès de Jean pour recevoir un baptême en signe de pénitence. À des soldats qui lui confessaient leur avidité, Jean répondait : « Ne commettez ni extorsion ni fraude envers personne, et contentez-vous de votre solde » (cf. Luc, 3, 14). Cette deuxième phase se nomme la contrition.

♦ Enfin, intervient la considération de la bonté infinie du Seigneur dont la miséricorde demeure toujours accessible à celui qui veut rectifier et amender sa conduite : « Déchirez vos cœurs et non vos vêtements, revenez au Seigneur votre Dieu, car il est miséricordieux et compatissant » (Joël, 2, 12-13). À ce stade, ce n’est donc plus la honte ou la crainte qui motivent le pénitent mais la douloureuse conscience d’avoir blessé Dieu dans l’amour infini qu’il nous porte. Saint Jean-Marie Vianney, le saint curé d’Ars, était tout entier pénétré de cet esprit de pénitence qu’on appelle la componction. Dans son Acte d’amour, il écrivit : « Je vous aime, ô mon Dieu et je n’appréhende l’enfer que parce qu’on y aura jamais la douce consolation de vous aimer. »

Dans l’ordonnancement ou l’alternance de toutes ces phases, interviennent, ensemble, plusieurs vertus : l’humilité, la crainte de Dieu, la piété filiale, la justice, l’espérance, la foi, la charité… C’est pourquoi, en tout dernier lieu, les effets de la pénitence ne se bornent pas seulement à délivrer l’âme de ce qui pourrait l’affliger ou l’inquiéter, mais, à tous ceux qui ouvrent leur cœur aux sollicitudes divines, le repentir apporte également des sentiments de joie et de confiance dont les échos se retrouvent en maintes pages du Nouveau Testament. Que l’on songe, par exemple, au repentir de Zachée (Luc, 19), tout heureux d’accueillir le Salut dans sa maison intérieure. En somme, comme condition nécessaire et préalable au Salut, la pénitence est une vertu indispensable à demander au Seigneur. 

L’imposition des Cendres que nous sommes bientôt invités à recevoir est un sacramental. Autrement dit, la grâce qui est attachée à ce rite nous sera seulement offerte en proportion de la sincérité de notre démarche. Que ce petit article puisse alors exciter notre désir de cultiver cette vertu de pénitence afin que chacun, tout au long du Carême, puisse produire de véritables fruits de conversion.

♦ Père Jérôme Monribot