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Marie & Marie, deux chefs-d’œuvre de la Divine Miséricorde (5)

Article publié le 29 novembre 2016 par Vincent TERRENOIR dans Billets spirituels

V. Marie et Marie, deux chefs-d’œuvre de la Divine Miséricorde

 

Au terme de cette réflexion qui a jalonné le Jubilé de la Miséricorde, rien de tel que deux belles icônes – deux chefs-d’œuvre ! – de la Divine Miséricorde pour fixer dans notre cœur ce que ce temps de grâce aura pu nous apporter : la Sainte Vierge et sainte Marie-Madeleine.

 

Les deux Maries

 

Ces deux femmes, au départ, tout pourrait les opposer. La première est sainte et immaculée dès le premier instant de sa vie ; la seconde a vécu longtemps dans le péché. Mais la miséricorde du Seigneur a opéré en celle-ci comme en celle-là des merveilles qui les rendent finalement très proches l’une de l’autre, ne serait-ce que dans la gloire du Ciel !

 

De cette proximité inattendue, s’émerveillait déjà, au 19e siècle, un saint prédicateur de la miséricorde. Il s’agit du Père Lataste, béatifié en 2012 par Benoît XVI. Ce dominicain, apôtre des prisons et fondateur d’une congrégation destinée à accueillir des détenues repenties, était un fervent admirateur de Marie-Madeleine en même temps qu’un grand ami de la Sainte Vierge. Il pensait que la pécheresse pardonnée était la plus grande sainte après la Mère de Dieu. Pourquoi ? Parce que la hiérarchie du Ciel est une hiérarchie de l’Amour et qu’après la Vierge Marie, selon la Tradition, Marie-Madeleine est cette femme qui « a beaucoup aimé » (Lc 7, 47) et qui a manifesté à Jésus tout son amour en oignant d’un parfum très coûteux sa tête et ses pieds.

 

Ce qui est sûr, c’est que Marie-Madeleine, comme la Vierge, a été de ces personnes qui ont vraiment aimé Jésus aux heures les plus douloureuses de sa vie : au pied de la Croix, d’après saint Jean, les deux Maries furent les premières à s’associer au mystère de notre Rédemption, et Marie-Madeleine fut la première à recevoir, au tombeau, la Nouvelle qui a changé à jamais la face du monde : « Christ est ressuscité ».

 

D’autres indices permettent de resserrer ce parallélisme étonnant. La Mère de Dieu prophétise dans son Magnificat : « Toutes les générations me diront bienheureuse » (Lc 1, 48) ; la seconde reçoit cette prophétie de Jésus quand elle oint son corps de parfum : « partout où sera proclamé cet Évangile, dans le monde entier, on redira aussi, à sa mémoire, ce qu’elle vient de faire » (Mt 26, 13) – autant dire qu’elle a été « canonisée », comme la Sainte Vierge, par l’Évangile lui-même !

 

Mgr David Macaire, dans un petit livre stimulant sur Marie-Madeleine[1], remarque un autre point commun. À l’Annonciation, et pendant quelques heures, la Vierge fut la seule à connaître la Bonne Nouvelle de l’Incarnation, déposée en son sein comme dans un tabernacle vivant. À l’aube de Pâques, alors que les apôtres sont incrédules, Marie-Madeleine va être la seule, pendant quelques heures, à porter dans son cœur la Bonne Nouvelle de la Résurrection, reçue de la bouche de Jésus lui-même : elle sera alors comme un vivant évangéliaire.

 

La « pécheresse devenue prêcheresse »

 

Mais c’est surtout sous l’angle de la Miséricorde que le rapprochement entre ces deux femmes va nous intéresser. D’après les évangiles, Marie-Madeleine était une pécheresse « publique » (Lc 7, 37). Tout le monde savait qu’elle était ravagée par le Mal. Jésus dut même la libérer de sept démons (Lc 8, 2), dans lesquels on peut voir un symbole des sept « péchés capitaux » : soit la somme de tous les péchés ! Cette femme, donc, n’était guère disposée à devenir une grande sainte ! Et pourtant, Jésus lui a fait miséricorde, totalement : il lui a pardonné « ses nombreux péchés » (Lc 7, 47) ; à partir de ce moment-là, elle a montré beaucoup d’amour envers lui, multipliant à son égard les œuvres de miséricorde – pour parler comme le pape François.

 

Avec d’autres femmes issues de la cour d’Hérode, en effet, elle s’est attachée à Jésus et aux Apôtres ; elle les a suivis, les aidant de ses biens (cf. Lc 8, 1-3). En d’autres termes, elle leur a fait l’aumône, l’une des principales œuvres de miséricorde corporelles. Elle a ensuite montré beaucoup de courage et de compassion quand elle est restée avec le Christ, au Calvaire, tandis que les apôtres avaient presque tous abandonné le Seigneur. Autre œuvre de miséricorde, donc, mais spirituelle celle-là : consoler ceux qui souffrent, ne serait-ce qu’en ne les assistant dans leur épreuve. Et puis, que ce soit par l’onction faite avant la Pâque de Jésus – « elle l’a fait pour ma sépulture » (Jn 12, 7) – ou par les soins prodigués à son corps après sa mort, elle a accompli une « bonne œuvre », puisque s’occuper de la sépulture des défunts, c’est aussi une œuvre de miséricorde. Au matin de Pâques, enfin, elle est chargée d’annoncer la Résurrection à Pierre et ses compagnons, devenant ainsi « l’apôtre des apôtres » : prêcher, annoncer l’Évangile, enseigner la Parole de Dieu à ceux qui l’ignorent, c’est encore, selon le pape François, une œuvre de miséricorde.

 

La « pécheresse devenue prêcheresse », comme l’appelle Mgr Macaire, est donc une figure exemplaire de ce Jubilé : en elle, la miséricorde de Dieu a fructifié en d’abondantes œuvres de miséricorde.

 

« Sa Miséricorde s’étend d’âge en âge »

 

Que l’Immaculée soit elle aussi une icône de la Miséricorde, c’est plus difficile à comprendre. Nous oublions souvent que si Marie a été préservée du péché dès l’instant de son entrée dans l’existence – c’est le mystère de son « Immaculée Conception » –, cela ne signifie pas qu’elle n’a pas eu besoin d’être sauvée. Le Christ est le Sauveur de tous les hommes, et Marie, en réalité, est la première des sauvés. Elle est donc la première à avoir bénéficié de la Divine Miséricorde. Son Magnificat montre qu’elle en a eu une conscience aigüe (« exulte mon esprit en Dieu mon Sauveur »). Tout en elle, à commencer par le premier instant de sa vie, est le fruit de cette « miséricorde » qui « s’étend d’âge en âge » et sans laquelle rien n’existerait.

 

Ce qui diffère par rapport à nous, c’est la manière dont elle est sauvée. Si la Vierge est « conçue sans péché », comme elle l’a dit à la rue du Bac, c’est parce qu’elle a été sauvée en amont du péché : elle en a été préservée. Pour qu’elle puisse devenir vraiment la Mère du Verbe incarné, il fallait que Marie ait la liberté d’offrir à Dieu ce « oui » total que l’humanité, depuis le « non » d’Ève, était incapable de donner à son Créateur. Nous autres pécheurs, en revanche, à l’image d’Ève et de Marie-Madeleine, sommes sauvés en aval du péché : nos « non » à l’Amour sont pardonnés et leurs conséquences, assumées.

 

L’Église des saints et des pécheurs

 

La Providence, en rassemblant ces deux femmes sous la Croix de Jésus, a bien fait les choses. Elle a dessiné pour nous deux figures d’une seule et même Église. En Marie, c’est l’Église sainte et immaculée qui est figurée, c’est-à-dire l’Église telle que Dieu la conçoit dans Son dessein éternel et telle qu’elle est, au Ciel, dans sa réalité achevée. En Marie-Madeleine est figurée l’Église en croissance vers cet achèvement : une Église faite de pécheurs pardonnés, qui progressent, parfois laborieusement, vers la sainteté. Que cette espérance demeure dans nos cœurs quand la Porte Sainte du Jubilé aura été refermée. Il y a de la place pour tous dans l’Église : ceux qui sont déjà parvenus à une grande maturité dans l’amitié avec Dieu et ceux qui peinent encore à sortir de leur péché.

 

• Frère Sylvain Detoc o.p.

Novembre 2016

 

[1] David Macaire, Marie-Madeleine, itinéraire spirituel d’une femme libérée, Paris, Éditions de la Licorne, 2014.