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Nouveau pour nos 90 ans : entretien avec le Père Jérôme – Le mystère qu’est l’Église. (Supplément à La « P’tite revue »)

Article publié le 7 novembre 2025 par Vincent TERRENOIR dans P'tite revue
Pour lire l’entretien au format pdf, cliquer sur : Entretien #1 – Supplément – P’tite revue n° 38, oct. 2025

Chers amis,

À l’occasion des 90 ans de « Pour l’Unité » – fondée le 26 novembre 1935 par le Père Marcellin Fillère (1900-1949) et l’Abbé André Richard (1899-1993) – il nous paraît opportun de nourrir davantage notre réflexion sur la foi, particulièrement en ce qui concerne le mystère de l’Église. Le Père Jérôme Monribot, conseiller spirituel de notre association, nous propose une série d’entretiens sur ce sujet fondamental. La suite paraîtra dans de prochains suppléments de La P’tite revue.

Bon nombre de nos contemporains veulent bien du Christ. Ils sont en revanche plus réticents à vouloir passer par la médiation de l’Église. Il s’agit là d’une grave incompréhension de ce qu’est le Corps du Christ. Pourtant, une réflexion théologique sur l’Église catholique peut conduire chacun de nous à contempler ce mystère d’amour et de grâce. 

Vincent Terrenoir

Le mystère qu’est l’Église.

Vincent : Père Jérôme, pourquoi souhaitez-vous nous parler du mystère qu’est l’Église sous la forme d’une interview ?

Père Jérôme : Simplement pour préserver le caractère dynamique et compréhensible de mon propos. En effet, le mode spontané d’une conversation me permettra de rester fidèle à l’objectif fondamental que je me suis fixé : demeurer à la portée du plus grand nombre de nos adhérents et sympathisants. Ainsi, en m’affranchissant des règles académiques qui régissent habituellement tout discours théologique, j’entends bien laisser parler mon cœur, et, tout au long de ces entretiens, nous allons vivre ensemble une sorte de retraite spirituelle dans la découverte contemplative du mystère qu’est l’Église.

V. : Vous parlez de l’Église comme d’un mystère. Que voulez-vous dire exactement ?
P. J. :
Au sein de notre environnement civilisationnel et ce, depuis plus de 1 500 ans, l’Église, avec ses dogmes, sa hiérarchie et son culte, s’est plus ou moins imposée à la conscience des hommes – fidèles ou détracteurs – comme un appareil social inséparable du développement culturel de nos sociétés occidentales. Ainsi, aux yeux de l’homme de la rue, du sociologue ou de l’historien, l’Église apparaît essentiellement comme une institution humaine, c’est-à-dire comme un phénomène sociologique que la raison seule peut très bien appréhender et circonscrire à travers ce qu’elle en perçoit.

Mais de la même manière que l’identité profonde de Jésus de Nazareth transcendait l’opinion commune qu’en avaient alors ses contemporains, même les plus croyants d’entre eux, l’Église est un mystère de grâce et d’amour. En réalité, Corps mystique du Christ et Temple de l’Esprit-Saint, l’Église est comme une quasi-personne dans le cœur de laquelle la miséricorde infinie du Christ vient rejoindre l’abîme insondable de notre misère. Et c’est cette réalité – en elle-même métaphysique – qui constitue ce que les Pères de l’Église appelaient très justement « un mystère. »

V. : Pour bien préciser votre propos, pouvez-vous exactement rappeler ce qu’est un mystère ?
P. J. :
Un mystère est à la fois une réalité divine qu’on n’a jamais fini de découvrir et une vérité inimaginable qu’on ne pourra jamais totalement saisir ou comprendre, même de l’autre côté, lorsque Dieu sera tout en tous. Un mystère, dans la religion catholique, n’est donc pas une sorte d’énigme que nous pourrions résoudre, à l’instar d’un problème mathématique mais il est comme « le voile » dans lequel Dieu s’enveloppe pour se révéler à nous. C’est pourquoi un mystère est à la fois clair et obscur. D’une part, en effet, un mystère implique « un excès de lumière » susceptible de susciter notre intérêt et notre émerveillement. D’autre part, par rapport à la finitude de notre esprit, un mystère comporte aussi une portion irréductible de ténèbres. Mais attention ! il ne s’agit pas là des ténèbres de l’ignorance et du péché, propre à la condition humaine héritée de nos premiers parents…(1) Même les bons anges, qui sont pourtant de purs esprits – et, qui plus est, des esprits de lumière – ne peuvent sonder la profondeur d’un mystère divin. (2) Dans la terminologie des Pères de l’Église, le mot mystère – qui vient du grec mysterion – a été traduit, en latin, par le mot sacramentum qui, en français, a donné le mot sacrement. Et pour cause ! chaque sacrement de l’Église est comme un voile de mystère à travers lequel Dieu vient nous toucher, non seulement pour guérir et purifier nos blessures mais aussi pour diviniser notre nature humaine.

Ainsi, en tant qu’elle est à la fois le signe et l’instrument de la Rédemption divine appliquée aux hommes, l’Église est comme le sacrement universel du Salut (cf. Lumen Gentium n. 1). Du reste, telle était bien l’intuition théologique et mystique de nos deux fondateurs – le Père     Fillère et l’Abbé Richard – lorsqu’ils songèrent à créer un mouvement ecclésial susceptible de témoigner « du » mystère qu’est l’Église. Trente ans après la fondation de Pour l’Unité – mais est-ce là une simple coïncidence historique ou une influence réciproque de ceux qui se laissaient alors guider par l’Esprit-Saint ? –l’ecclésiologie conciliaire de Vatican II viendra en quelque sorte consacrer et canoniser cette intuition géniale. (3) Par conséquent, fêter les 90 ans de Pour l’Unité ne revient pas seulement à féliciter une vieille dame nonagénaire. Plus précisément encore, notre démarche s’enracine dans le souhait de faire connaître et aimer durablement l’Église. Non pas telle que l’Église peut paraître en soi – c’est-à-dire au sein de notre esprit, à travers l’idée ou les représentations que nous en avons, mais telle que l’Église est en elle-même, c’est-à-dire indépendamment de nous et relativement au Christ, de qui elle tient ses origines et sa raison d’être dans le monde, comme Ève tint elle-même sa création d’Adam dans le Jardin d’Éden. Car, enfin, dernière remarque : un mystère est toujours une réalité concrète et dynamique dont la contemplation personnelle et collective unifie et fait croître dans la grâce de Dieu. Pour cette raison, notre association se veut résolument au service de l’unité du genre humain dans le Christ, non seulement à travers la promotion de la dévotion populaire que suscitent la foi, l’espérance et la charité théologales, mais aussi par une compréhension renouvelée du mystère de la communion des saints.

V. : Pouvez-vous brièvement nous expliquer le mystère de la communion des saints ?
P. J. :
Oui, du moins autant qu’il m’est possible de le faire. Mais pour y parvenir, paradoxalement, j’emprunterai une voie peu conventionnelle, celle de la démonologie, l’enfer étant en quelque sorte l’antithèse de la communion des saints. Chaque démon, en effet, considère sa propre volonté comme la norme ultime de son essence et, par conséquent, de son agir. Dès lors, n’importe quel démon existe dans le subjectivisme total et absolu de ses propres pensées. L’esprit d’un démon constitue donc, en lui-même, « un monde-prison » au sein duquel, évidemment, la rémission de son propre péché n’est ni souhaitée, ni possible, ni même envisageable. Tout ange déchu, il est vrai, préfère régner en maître dans le monde infernal de sa propre subjectivité plutôt que d’être, au sein du Royaume des Cieux, un serviteur fidèle de la Parole de Dieu. Or, ce Royaume des Cieux est précisément le « lieu » où s’exercent la volonté et la toute-puissance de cette autre subjectivité totale et absolue qu’est Dieu lui-même. (4) Entrer dans le Royaume des Cieux, c’est donc entrer personnellement dans un état d’âme qui, objectivement, s’atteste comme une béatitude pour notre nature humaine. Mais c’est encore et avant tout communier à la joie subjective et insondable de Notre Seigneur : « Serviteur bon et fidèle, entre dans la joie de ton maître » (cf. Mat., 25, 23). À ce titre, la communion des saints est une œuvre essentielle du Saint-Esprit, profondément liée à l’unité, à la sainteté, à la catholicité et à l’apostolicité de l’Église, puisque c’est précisément dans l’Église du Christ que Dieu aime trouver ses délices. D’une certaine manière, nous pouvons dire que la communion des saints est l’autre nom de l’Église… (5) Dès lors, méditer sur le mystère de la communion des saints revient à méditer sur le mystère de la vie surnaturelle de l’Église, depuis Abel le Juste jusqu’à Carlo Acutis. Ainsi, par exemple, est-ce dans le mystère de la communion des saints que s’enracinent le dogme de la réversibilité des mérites ou bien encore celui des indulgences, que les saints peuvent obtenir pour le salut des âmes. Vivre dans la communion des saints revient donc à vivre dans le monde propre du Père, sous le régime d’amour de la loi du Christ, en adoptant les vues du Saint-Esprit pour concourir au bien de tous ceux qui aiment Dieu. La communion des saints est donc foncièrement trinitaire ; mais quoi de plus naturel, en définitive, puisque Dieu est le seul Saint duquel tous tiennent leur sainteté.

V. : Et que pouvez-vous nous dire au sujet de la dévotion populaire ?
P. J. :
Étant étroitement associée au sensus fidei (le sens de la foi) du Peuple de Dieu, la dévotion populaire est précisément un fruit authentique de la communion des saints. Néanmoins, si la dévotion populaire est essentiellement liée à l’instinct surnaturel de notre vie en Jésus-Christ, elle demeure cependant régulée par la hiérarchie ministérielle de l’Église. En ce sens, même si nous pouvons prier Dieu et ses saints comme nos ancêtres l’ont toujours fait dans la simplicité et la spontanéité de leur foi, par exemple à travers la prière du chapelet que nous récitons aussi durant nos différents pélés « éclairs », la dévotion populaire exclut toute démarche superstitieuse qui serait contraire à la foi et nous détournerait de la Providence divine. En effet, lorsque Dieu exauce une âme, ce n’est jamais en fonction de la technicité ou non de sa prière. Mais bien en raison de son bon vouloir, qui peut se laisser attendrir ou fléchir par une prière sincère, aussi banale soit-elle. En effet, si tout était déjà inscrit d’avance, l’Esprit Saint ne susciterait pas, en nous ou au sein de l’Église, l’instinct ou le désir de la prière qui obtient et qui sauve : « Demandez et l’on vous donnera, frappez et l’on vous ouvrira » (cf. Mat, 7, 7-12). 

Père Jérôme Monribot

NOTES
1- Confronté au mystère d’une évidence, dit saint Thomas, les yeux de l’intelligence sont comme les yeux d’une chouette face à la lumière du soleil (cf. ST, Ia, qu. 1, art. 5, sol. 1). En réalité, les ténèbres qui enveloppent le mystère sont imputables à la faiblesse de notre intelligence. Dès lors, enseigne saint Paul : « Seul l’Esprit de Dieu est capable de sonder les profondeurs de Dieu » (cf. 1 Cor., 2, 10). Si tout mystère implique un excès de lumière, la foi, quant à elle, exclut tout doute, spontané ou méthodique. En ce sens, la nuit de la foi que peuvent ressentir les mystiques n’est pas celle du doute.

2- Ainsi les anges pressentirent-t-ils l’Incarnation du Christ sans pour autant déceler qu’elle serait rédemptrice du genre humain. Et quand le démon tenta Jésus au désert, il ne put que pressentir un mystère impénétrable au regard de la sainteté inouïe qui se dégageait de la personne du Christ.

3- Bien que le concile Vatican II fût convoqué par le pape Jean XXIII, la nécessité de réunir tous les Pères de l’Église s’était néanmoins imposée à la conscience d’un Pie XII vieillissant et épuisé par sa charge, surtout après six années intenses de guerre et de persécutions contre l’Église. Mais après les horreurs de la Seconde Guerre mondiale, l’établissement d’un nouvel ordre mondial entre nations civilisées demeurait un objectif prioritaire et crucial dont la réalisation devait être aussi accompagnée par l’Église. Dans cette perspective, les vingt années qui s’intercalèrent entre la création de l’ONU (1945) et la promulgation du Concile Vatican II (1965) furent le théâtre d’une émulation réciproque entre théologiens, particulièrement dans le domaine de l’ecclésiologie [Partie de la théologie qui traite spécifiquement de la nature et des aspects de l’Église en référence à Jésus-Christ]. Toutefois, ce renouveau ecclésial ne datait pas de l’après-guerre mais bien de l’avant-guerre des années 30. En effet, confrontés aux messianismes politiques que prêchaient alors la novlangue du nazisme et du bolchevisme, ces deux frères ennemis nés de l’athéisme socialiste et militant, les Pères fondateurs de notre association et de son journal officiel après guerre (alors L’Homme nouveau) avaient déjà acquis la claire vision qu’il leur fallait initier un mouvement ecclésial et missionnaire, sorte d’internationale réactionnaire qui, sans manipulation frauduleuse des masses, remettrait enfin l’église au centre du village ou, plus exactement, l’Église catholique au centre du monde, cette dernière, en raison de son union mystique au Christ et à la Trinité, étant facteur d’unité et de communion entre les hommes. Hélas, malgré des succès locaux indéniables, les ambitions du Père Fillère et de l’Abbé Richard ne purent être satisfaites et menées à terme, le monde étant entré relativement vite dans la tourmente de la guerre, dès 1939, soit 4 ans après la création de Pour l’Unité.

4- Dans le contexte de la philosophie contemporaine, la notion phénoménologique de subjectivité renvoie à la notion aristotélicienne de personne. Une personne est un donc un esprit capable de « s’auto-comprendre » par introspection et de « s’auto-déterminer » par libre-choix. Un ange est une personne angélique. Un homme ou une femme sont des personnes humaines distinctes et différentes. Le Père, le Fils et l’Esprit sont trois personnes divines consubstantielles. Dieu, qui ne peut être qu’amour, peut-il néanmoins « s’auto-déterminer » à être quelqu’un d’autre que le Créateur bien-aimant ? Oui ! Par exemple, épris d’amour envers sa création (cf. Jn, 3, 16), il est devenu librement le Rédempteur des hommes. Et dans ce monde qu’il aime tant, il y a vous, il y a moi, il y a chacun d’entre nous. C’est là le cœur de la Bonne Nouvelle prêchée par Notre-Seigneur.

5- Puisque le Christ peut être reconnu comme étant le sacrement de la communion, l’Église peut être désignée, par métonymie, comme étant la communion des saints.

Photo : le Pape Jean XXIII et l’Abbé André Richard au Vatican – © Pour l’Unité