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Résister au meilleur des mondes !

Article publié le 25 juin 2015 par Pour l'Unité dans Chronique @

Ma chronique @ de janvier évoquait le transhumanisme. Ce mouvement prône l’amélioration des capacités physiques et mentales de l’homme par la technologie. Deux événements auxquels j’ai participé indirectement ces derniers jours m’ont poussé à vous faire partager ma réflexion. D’abord la dernière pièce de l’essayiste et philosophe Fabrice Hadjadj, intitulée « Jeanne et les post-humains », qui se jouait du 20 au 23 mai dernier à Neuilly-sur-Seine (92) avec le concours de la Fondation Jérôme Lejeune, et la sortie du livre de Guillaume de Prémare[1] et Eric Letty[2] : Résistance au meilleur des mondes. Cette pièce et cet essai arrivent dans une bouillante actualité bioéthique et morale.

 

La récente réforme des rythmes scolaires et du collège, la création de spermatozoïdes in vitro, la prochaine implantation de puces dans le poignet d’enfants, l’inscription à l’état civil d’enfants nés par GPA à l’étranger ordonnée par le tribunal de grande instance de Nantes ont soudain réveillé en moi les inquiétudes qui s’étaient faites jour à la lecture du roman d’anticipation d’Aldous Huxley, Le Meilleur des Mondes. Face à une fiction se faisant de plus en plus réalité, quelle attitude adopter ? Le chrétien doit-il rester simple observateur, détourner le regard espérant que le pire est toujours évitable, ou rappeler la place de l’homme dans la Création en tant que sujet et non simple objet ? La Création impliquant l’idée d’un Créateur, ne serait-ce pas là une occasion d’annoncer le Christ, Parole vivante de Dieu et Dieu incarné ?

 

Le cœur du sujet de Huxley était d’imaginer, dans les années 30, comment la technologie pourrait impacter non seulement nos modes de vie mais les relations entre les hommes dans l’esprit et dans la chair. Il est intéressant d’apprendre que le propre frère de l’écrivain, Julian Huxley, est le fondateur de l’UNESCO et l’un des principaux promoteurs, comme leur père, de l’eugénisme, tant remarqué et décrié dans les romans d’Aldous. On peut imaginer les vifs échanges lors des repas familiaux ! Julian était aussi très proche de Margareth Sanger, la fondatrice du Planning Familial mondial.

 

Le Meilleur des Mondes décrit une société eugéniste où les hommes sont seuls dans une société dirigée par un super état mondial, « libérés » de tout lien, de toute contrainte, mais aussi de tout engagement. La famille est proscrite, la maternité est tabou ; les enfants sont élevés en flacons, conditionnés, pris en charge par cet état mondial supposé faire leur bonheur où rien ne doit manquer. Une médication miraculeuse, nommée Soma est sensée stimuler ou remettre d’appoint tout moral défaillant. Ce bref descriptif de la société imaginée par Huxley est le point de départ du travail de Letty et de Prémare. Ils considèrent reconnaître dans ses écrits de nombreux éléments de la société actuelle et parmi ceux-ci, la volonté de supprimer les nations, chère à l’ultra-libéralisme et au socialisme, car selon eux, fauteuses de guerres et empêchant de construire un monde de paix.

 

Si l’on considère une citation de Charles Maurras selon laquelle la première des libertés est l’indépendance de la nation, on peut considérer que la création d’un « super état mondial » est une  profonde perte de liberté par la destruction des libertés individuelles, des traditions et des racines. On aboutit à l’isolement de l’homme en individu, on fait table rase du passé. Selon Élisabeth Badinter, la déconstruction du modèle familial et de l’image du « pater familias » est au fondement même de l’idée de démocratie. Il y aurait donc un lien, selon nos deux auteurs, entre l’évolution des mœurs et l’avènement de cette démocratie mondiale. La sexualité devient ainsi un enjeu majeur, politique, sociologique et idéologique ; le « contrôle des masses » par le « contrôle des  mœurs » en quelque sorte !

 

Le père est le maillon faible depuis au moins la révolution française et Mai 68 et on a créé une espèce de conflit des sexes dans la famille, un peu à l’image de la lutte des classes au niveau social. Dans cette conception très particulière des relations homme-femme, dans cette égalité qu’on voudrait parfaite, la mère n’est pas mieux lotie, handicapée, empêchée dans son « épanouissement » professionnel et sexuel par la maternité. On voit alors poindre à l’horizon cette revendication propre à l’égalitarisme qu’est la théorie du genre : la disparition des rôles sexués et même des sexes !

 

La théorie du genre revendique l’idée avant tout dialectique, que l’identité sexuelle résulterait de stéréotypes construits, culturels et sociaux, donc, démontables et modifiables. Voir attaqués ces modèles à notre époque n’a donc rien de surprenant. Pourtant, des modèles aussi puissants, aussi naturels que la féminité ou la masculinité n’ont jamais démontré un réel danger par rapport à une indifférenciation des sexes qui pour le coup, n’a rien de naturel. C’est donc l’idée de norme qui est attaquée par les promoteurs de la théorie du genre avec comme objectif la disparition de la norme et des repères ; il n’y aurait alors plus rien d’ « anormal ».

 

Autre préoccupation de nos auteurs et qu’on retrouve dans la pièce d’Hadjadj, le transhumanisme ou l’idée de la création d’un homme artificiel par les technologies NBIC.[3] Mais dans l’emprise de la technologie sur l’homme, on voit apparaître toute la violence et la domination sur l’homme qui se croit libéré d’une déficience mais asservi à la machine. L’homme, comparé à un simple ordinateur, ne serait plus qu’un réseau domptable de connexions neuronales, une machine parmi les PC.

 

Dans un parallèle avec la pièce « Jeanne et les post-humains », lors d’un procès assez semblable à celui de la pucelle d’Orléans, on cherche à faire reconnaître à l’héroïne qu’elle a été manipulée par les ennemis de la « démocratie mondiale ». Ceux-ci l’auraient déprogrammée afin qu’elle couche de la manière la plus naturelle avec son collègue de travail. Ses accusateurs, d’abord insensibles, finiront par ressentir ce qu’ils se refusaient jusqu’alors, la prévalence de la nature humaine, un retour du naturel trop refoulé, une nature chassée qui revient au galop. Cette même nature que le transhumanisme cherche à modifier, augmenter, rendre sans défaut.

 

Comment ne pas entendre alors, les paroles de saint Paul dans le chapitre 12 de sa deuxième lettre aux Corinthiens ? « (…) pour m’empêcher de me surestimer, j’ai reçu dans ma chair une écharde, un envoyé de Satan qui est là pour me gifler, pour empêcher que je me surestime. Par trois fois, j’ai prié le Seigneur de l’écarter de moi. Mais il m’a déclaré : « Ma grâce te suffit, car ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse. «  C’est donc très volontiers que je mettrai plutôt ma fierté dans mes faiblesses, afin que la puissance du Christ fasse en moi sa demeure. »

 

Au-delà du nécessaire et bienvenu progrès médical, il ne s’agit pas de s’inquiéter de la simple prothèse qui vient réparer une infirmité ou un accident de vie mais bel et bien de la création d’un homme augmenté, j’oserais dire « sur-naturel » ! Dans un tel monde, nul besoin d’être prophète pour concevoir la place laissée à l’infirme, à la personne handicapée de naissance passée outre les mailles de plus en plus fines du filet de dépistage pré-implantatoire, prénatal, échographique et sanguin.

 

Si le Seigneur nous invite, par la voix de saint Paul, à mettre notre fierté dans nos faiblesses, c’est pour accueillir le Christ, Dieu fait homme ; Celui qui a pris nos doutes, nos souffrances, nos faiblesses, nos péchés et nous a sauvés par sa mort et sa résurrection. Quel salut pour l’homme fait Dieu dans un monde égalisé, nivelé, augmenté sans autre espoir qu’une vie terrestre éternelle, gorgée de Soma et de performances sans cesse repoussées… ? Une bien triste vie en fait, bien loin de l’Espérance qui nous habite (cf. 1 P 3, 15) et que nous avons l’audace de proclamer à temps et à contretemps (cf. 2 Tm 4, 2).

 

• Dokétik

Juin 2015

 

[1] Guillaume de Prémare est consultant en communication, ancien président de La Manif Pour Tous et délégué général d’Ichtus.

[2] Eric Letty est éditorialiste au magazine Monde et Vie.

[3] NBIC : Nano, Bio-technologies, Intelligence artificielle, science Cognitive.