RECHERCHER

Dieu est toute miséricorde et « remué aux entrailles » (2)

Article publié le 26 avril 2016 par Vincent TERRENOIR dans Billets spirituels

II. « Les œuvres de Miséricorde »

 

Sachons imiter les mœurs de Dieu, lui qui est toute miséricorde et « remué aux entrailles »

 

Les portes du Ciel ne s’ouvrent pas devant un certificat de baptême, mais devant des œuvres qui procèdent d’un cœur miséricordieux. Ce sont ces œuvres concrètes que le pape nous demande d’accomplir pendant le Jubilé, car c’est sur elles – Jésus nous a prévenus (cf. Matthieu 25) – que nous serons jugés :

 

« Redécouvrons les 7 œuvres de miséricorde corporelles :

donner à manger aux affamés

donner à boire à ceux qui ont soif

vêtir ceux qui sont nus

accueillir les étrangers

assister les malades

visiter les prisonniers

ensevelir les morts

 

Et n’oublions pas les 7 œuvres de miséricorde spirituelles

conseiller ceux qui sont dans le doute

enseigner les ignorants

avertir les pécheurs

consoler les affligés

pardonner les offenses

supporter patiemment les personnes ennuyeuses

prier Dieu pour les vivants et pour les morts »

(Misericordiae Vultus, MV, 15)

 

On a parfois du mal à tenir ensemble la contemplation et l’action, comme si agir et prier étaient contradictoires. C’est un faux problème. Prier pour autrui, c’est déjà poser un acte de miséricorde, et même le premier dans l’ordre de nos possibilités. Nous ne pouvons pas tous nourrir les affamés, visiter les malades, enseigner, etc. Mais tous, là où nous sommes, nous pouvons au moins prier. Commençons par-là !

 

Imiter les « mœurs » de Dieu

 

Pourquoi l’enseignement des prophètes (Isaïe 1, 11-16 ; 58, 6-11, etc.), du Seigneur (Matthieu 25, 31-46), des Apôtres (Jacques 2) et du Magistère insiste-t-il tant sur les œuvres de miséricorde ? Parce que la raison d’être de cet enseignement, c’est notre salut. L’Écriture et la Tradition nous montrent qu’on ne va pas au Ciel sans vivre au diapason de la miséricorde divine. Le Ciel, en effet, c’est Dieu connu et aimé en plénitude, face à face ! Or Dieu est miséricordieux. Impossible, donc, de partager l’intimité de Dieu si on ne partage pas Ses « mœurs ». C’est ce que dit la cinquième béatitude : « Heureux les miséricordieux, ils obtiendront miséricorde » (Matthieu 5, 7). Si Dieu remet les péchés, comment celui qui refuse de pardonner à son frère pourrait-il être en communion avec Lui ? C’est l’enseignement fondamental de la prière que Jésus nous a apprise : « pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensé ».

 

Cet enseignement, Jésus l’a étoffé dans son commentaire du Notre Père (Matthieu 5, 14) et l’a étayé par les chiffres exorbitants qu’il utilise pour nous faire comprendre le caractère illimité de cette miséricorde que nous devons imiter si nous voulons être traités par Dieu en fils. Pardonne chaque jour à ton frère, commande le Christ, et jusqu’à 70 fois 7 fois (soit près de 500 fois par jour !), parce que Dieu te remet quotidiennement des dettes que tu ne pourrais jamais rembourser (Matthieu 18, 22). Ainsi, si tu veux obtenir miséricorde, ne sois pas comme cet intendant impitoyable à qui son maître avait remis une dette de plusieurs millions de pièces et qui refuse, lui, de faire cadeau à l’un de ses compagnons de quelques piécettes (Matthieu 18, 23-35).

 

« Miséricordieux comme le Père »

 

En somme, qui veut recevoir la vie de Dieu en partage doit aussi partager ce qui Le caractérise au plus haut point : la miséricorde. Dans la version de saint Luc, la perfection la plus haute par laquelle un homme puisse ressembler à Dieu, c’est la miséricorde. Là où Matthieu écrit « soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait » (Matthieu 5, 48), Luc précise « soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux » (Luc 6, 36). Luc est l’évangéliste de la miséricorde. C’est chez lui, au chapitre 15, qu’on lit les fameuses « paraboles de la miséricorde » : « la brebis perdue », « la drachme perdue », et surtout « l’enfant prodigue ». Ces trois histoires inventées par Jésus disent combien Dieu ne se lasse pas de se mettre à notre recherche, jusqu’à notre dernier souffle, comme dans le cas du bon larron. Pas étonnant, donc, que le pape François ait emprunté à Luc la « ‘‘devise’’ de l’Année Sainte » : « miséricordieux comme le Père » (MV 14).

 

« Jésus-Christ est le visage de la miséricorde du Père » (MV 1)

 

« Dieu, nul ne l’a jamais vu » (Jean 1, 18). Mais en Jésus, Sa Parole éternelle s’est faite chair ; elle a rendu Dieu visible, à tel point que voir Jésus, c’est voir le Père (Jean 14, 9). En Jésus, la Parole de Dieu se traduit elle-même en langage humain. En mots, bien sûr – c’est pourquoi les paraboles et les enseignements du « rabbi » sont précieux, car Jésus connaît pleinement le Père (Matthieu 11, 27 ; Jean 10, 15) : lui seul peut nous parler en vérité de Sa miséricorde sans tomber dans des projections sentimentales conditionnées par une affectivité mal placée. Mais en Jésus, c’est aussi en attitudes et en gestes que la Parole du Père se traduit. Comme l’écrit le pape François, c’est « toute sa personne » qui « révèle la miséricorde de Dieu » (MV 1). Or la vie publique de Jésus est une succession ininterrompue d’enseignements, de prières et d’actes de miséricorde : guérisons, libérations, résurrections, multiplications de nourriture, etc. : au fond, il n’y a pas une seule œuvre de miséricorde corporelle et spirituelle que Jésus n’ait faite. Dès lors, en voyant les œuvres de Jésus, qui pourrait douter de la miséricorde du Père (MV 8) ?

 

Compatissants comme Jésus

 

Toutes ces œuvres, y compris le fait d’enseigner les foules, procèdent d’une même démarche : Jésus agit parce qu’il a pitié des personnes qu’il rencontre. Le grec des évangiles est très suggestif : il dit que Jésus est « remué aux entrailles » quand il voit la misère des personnes qui viennent à lui. C’est ce sentiment puissant qui le pousse à guérir les malades (Matthieu 14, 14 ; 20, 34 ; Marc 1, 41), à multiplier les pains (Matthieu 15, 32 ; Marc 8, 2), à enseigner les foules (Marc 6, 34), à ressusciter un mort (Luc 7, 13). Tout le monde sait par expérience ce que c’est que d’être « remué » face à des situations difficiles. Les mamans, en particulier, connaissent ces sensations aiguës devant la souffrance de l’enfant qu’elles ont porté. En hébreu, c’est justement cette image des entrailles maternelles (rahamim) que la Bible utilise pour nous aider à comprendre que Dieu n’est pas indifférent à la misère de l’homme. Le Dieu de la Bible aime les hommes comme un Père, mais avec des entrailles de mère (Isaïe 49, 15 ; Jérémie 31, 20), et des entrailles qui « frémissent » de voir l’homme se perdre (Osée 11, 8). C’est avec cette même tendresse « viscérale » que le père de la parabole accueille le retour du « fils prodigue » à la maison : il est « remué aux entrailles » devant son indigence (Luc 15, 20), tout comme Dieu s’est laissé toucher par « la misère » d’Israël tout au long de son histoire sainte (Exode 3, 7 ; 4, 31 ; Ezéchiel 16 ; Osée 11 ; etc.).

 

Au travail !

 

Si nous voulons participer à la Vie de Dieu dès cette terre et dans le Ciel, nous ne pouvons pas rester insensibles à la misère des hommes. « L’amour ne peut jamais être un mot abstrait », explique le pape ; « par nature, il est vie concrète : intentions, attitudes, comportements qui se vérifient dans l’agir quotidien » (MV 9). Alors, aimons !

 

• Frère Sylvain Detoc o.p.

Avril 2016