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Ordonne que ces pierres deviennent des pains ! – I

Article publié le 4 février 2018 par Père Jérôme MONRIBOT dans Billets spirituels

Bien s’entraîner au combat spirituel, comme nous y invite le temps du Carême, nécessite de bien connaître son adversaire !

Le diable est un ange qui, dès « les premiers instants » de sa création, a préféré devenir premier dans l’ordre de la haine plutôt que second dans l’ordre de l’amour. Depuis, il n’a de cesse de vouloir entraîner le monde avec lui dans les tourments de sa chute… Les moyens dont il dispose sont ceux que nos appétits désordonnés lui offrent et c’est pourquoi, par ses duperies, le démon nous fait toujours tomber du côté où nos mauvais désirs nous font pencher. Mais nous ne sommes pas pour autant démunis !

En effet, en s’exposant volontairement aux tentations du diable, Jésus nous a offert l’exemple d’un magnifique duel spirituel au terme duquel, dépité, le démon n’eût pas d’autre choix que de se retirer. Pour la première fois de son existence démoniaque, un homme à la sainteté inouïe et mystérieuse l’avait mis en situation d’échec. Pourtant, devait-il penser dans son orgueil, ses tentations avaient été plus que jamais subtiles, surtout la première… En voici le récit de Matthieu (4, 1-4) :

Alors Jésus fut conduit au désert par l’Esprit pour être tenté par le diable. Après avoir jeûné quarante jours et quarante nuits, il eut faim. Le tentateur s’approcha et lui dit : « Si tu es Fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent des pains. » Mais Jésus répondit : « Il est écrit : L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. »

Confrontée à l’explication de ce récit, l’exégèse conventionnelle interprète ce passage comme une incitation diabolique à rompre le jeûne que Jésus s’était imposé. Au terme du miracle accompli, en effet, Jésus, alléché, aurait craqué à la vue et à l’odeur des pains… Il aurait alors succombé à la concupiscence de la chair, ici les plaisirs du ventre. Personnellement, j’affirme que le diable est bien plus malin que ça ! Et nul n’ira en enfer sous prétexte d’avoir rompu une résolution de Carême qui plus est le dernier jour… Soyons sérieux !

Quelle incitation au péché le démon dissimule-t-il alors derrière la ruse de cette tentation ? À première vue, il n’y a rien d’immoral à changer les pierres en pains. Cela ne peut pas faire de mal. Au contraire, un tel pouvoir permettrait même d’éradiquer la faim dans le monde… Comment un homme qui prétend être le Fils de Dieu pourrait-il dès lors passer à côté d’une telle démonstration humanitaire ? Pourtant, Jésus refuse en prétextant un verset du Deutéronome : « L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. » Aussi vraie que soit cette divine parole, en quoi éclaire-t-elle, cependant, le refus catégorique de Jésus ? Tout ce qui est souhaitable et possible ne serait-il donc pas pour autant permis ? Comment ne pas souligner l’actualité d’une telle question, particulièrement à l’heure où le progrès scientifique, sur fond de transhumanisme, semble la solution de tous nos besoins ?

Considérons, par conséquent, la réplique de Jésus : « L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. » Elle rappelle au démon, mais chacun est également concerné, que le pain matériel seul ne saurait suffire à l’épanouissement de la vie humaine. Pour être pleinement heureux, l’homme a également besoin d’assimiler les préceptes divins exprimés à travers cette nourriture spirituelle qu’est la Parole de Dieu. Sans cette assimilation du Pain de la Parole, l’homme ne pourrait conformer sa volonté à celle du Père et, par voie de conséquence, atteindre le vrai bonheur, sa fin ultime, à savoir la vision aimante et saturante de Dieu que la théologie catholique désigne sous le terme de béatitude.

L’homme, en effet, est une réalité complexe. À la fois âme incarnée et corps animé, il est, de par la constitution même de son être, comme un horizon entre deux mondes : le monde des réalités corporelles (minérales, végétales, animales) et le monde des réalités spirituelles (Dieu et les anges). D’où la promesse de béatitude proclamée par Jésus : « Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, ils seront rassasiés. » L’homme est un être qui a besoin de se nourrir de transcendantaux. C’est du reste pour cela, qu’en définitive, la seule réalité que Jésus décidera de changer en pain sera inséparablement son corps, son sang, son âme et sa divinité, dans le sacrement de l’Eucharistie. L’Eucharistie, en effet, donne la vie de Dieu à notre âme.

Mais revenons à la première tentation du démon. En quoi changer des pierres en pains constituerait-il une tentation, c’est-à-dire une incitation à pécher, à se détourner de Dieu ? Tout simplement parce qu’elle apparaît comme un remède miracle à la première malédiction de la Genèse (cf. Gen., 3, 17-20). Souvenez-vous : « Parce que tu n’as pas écouté ma Parole, tu mangeras ton pain à la sueur de ton front. »