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Ne craignez pas ceux qui tuent le corps

Article publié le 16 juin 2020 par Père Jérôme MONRIBOT dans Billets spirituels

Billet spirituel à l’occasion de l’Évangile du 12e dimanche ordinaire – C.

Les paroles de Jésus dans l’évangile de ce dimanche s’adressent d’abord aux apôtres, c’est-à-dire aux missionnaires choisis et envoyés par le Christ pour rendre témoignage à l’Évangile. Jésus ne leur promet pas un succès facile. Il leur annonce même des difficultés et des oppositions. En effet, ce n’est pas parce qu’ils annonceront l’Évangile au nom du Christ qu’ils seront accueillis à bras ouverts.

L’annonce de l’Évangile se heurte aujourd’hui comme hier à bien des résistances, des oppositions ou tout simplement à une froide indifférence. Ce qui est valable pour les apôtres l’est aussi pour chaque chrétien, donc pour chacun d’entre nous. Car même si nous n’avons pas la vocation de missionnaire, de par notre baptême et notre confirmation nous sommes, nous aussi, appelés à rendre témoignage à l’Évangile de Jésus, par nos actes et par nos paroles. L’avertissement qui clôt cette page évangélique est donc aussi valable pour les laïcs qui n’ont pas reçu une mission particulière au sein de l’Église : Quiconque se déclarera pour moi devant les hommes, moi aussi je me déclarerai pour lui devant mon Père qui est aux cieux. Mais celui qui me reniera devant les hommes, moi aussi je le renierai devant mon Père qui est aux cieux. Le refrain qui revient à trois reprises dans ces paroles de Jésus est donc un appel à ne pas avoir peur au milieu des inévitables difficultés que comporte le témoignage chrétien : soyez sans crainte.

Toutefois, un passage de cet Évangile demande une explication et un approfondissement particulier : Ne craignez pas ceux qui tuent le corps sans pouvoir tuer l’âme ; craignez plutôt celui qui peut faire périr dans la géhenne l’âme aussi bien que le corps.

Dans la tradition philosophique de Platon, on distinguait en l’homme deux principes : l’âme qui est immortelle et le corps qui est périssable. Jésus reprend en partie cette distinction, mais en soulignant aussi que même l’âme peut être passible d’une espèce de mort en périssant – dit-il – dans le feu de la géhenne. Dans le monde de la Bible, la Géhenne est une vallée près de Jérusalem où les potiers avaient installé leurs fours. Il y faisait donc très chaud. C’était un véritable lieu de fournaise.

Dans la bouche de Jésus, la géhenne est donc une allusion à l’enfer, ce feu préparé pour Satan et ses démons, précisera l’Apocalypse, et dans lequel les êtres d’argile que nous sommes peuvent également être plongés si nous suivons les pas de ces anges rebelles en faisant le mal. S’il fut un temps où le catéchisme et la prédication insistaient beaucoup trop sur la réalité et la possibilité de l’enfer, il est toutefois regrettable, de nos jours, qu’on en parle presque plus. C’est regrettable car lorsque l’on ne parle plus de certaines choses, ont fini par oublier qu’elles existent… Mais l’enfer existe pourtant bel et bien. Non pas comme une punition divine – car Dieu est amour – mais comme la conséquence de nos actes libres et volontaires. L’enfer, c’est tout simplement le refus incompréhensible de Dieu. C’est la situation qu’ont choisi tous ceux qui, par orgueil, ont préféré être premiers dans le domaine du mal plutôt que « deuxièmes » dans le domaine du bien. L’enfer est un lieu de tourments, comparable à un feu, car toute créature, ange ou homme, ressent en lui-même la violence de son refus de Dieu. Créé pour aimer Dieu, la soif de Dieu vous torture… Mais comme vous ne voulez rien recevoir de lui, votre soif d’amour se fait encore plus douloureusement ressentir. Pour dire les choses plus simplement encore, ne vont en enfer que ceux qui ont choisi d’y aller. Car jusqu’au bout de son dernier souffle, même le plus endurci des pécheurs sera poursuivi par la miséricorde divine. Mais une fois mort, comme une poterie déjà cuite, la volonté de l’homme reste fixée pour toujours. Elle n’est plus malléable… C’est aussi pour cela, qu’autrefois, aux litanies des vêpres du dimanche, on demandait souvent : « De la mort subite et imprévue, délivre-nous Seigneur. » Une mort subite, en effet, nous priverait in-extremis de demander pardon à Dieu.

Mais revenons à l’Évangile… Tous ceux qui ont persécuté les chrétiens se sont attaqués à leur vie, en martyrisant et en faisant périr le corps. Ces persécutions sont malheureusement encore d’actualité pour beaucoup de nos frères chrétiens d’Orient qui n’ont souvent pas d’autre choix que l’exil ou la mort. Mais Jésus nous dit que nous devons surtout craindre celui qui a le pouvoir de faire périr notre âme dans la géhenne. Même s’il n’est pas nommé, on peut penser ici au diable qui, par ses tromperies, peut nous entraîner à le suivre et à refuser Dieu. En Europe, nous ne sommes pas persécutés et nous jouissons de la liberté de culte. Cependant, nous devons quand même craindre ce qui peut tuer notre âme, tout ce qui peut tuer en nous la vie de communion avec Dieu. Ou sans la tuer, la rendre en tous cas plus difficile.

Nous devons craindre tout ce qui peut nous éloigner de cette communion avec Dieu et nous empêcher de témoigner de l’Évangile. La société de l’indifférence religieuse dans laquelle nous sommes plongés est, par certains aspects, tout aussi dangereuse pour la vitalité de notre foi que les persécutions pouvaient l’être à l’époque des premiers chrétiens. Car cette indifférence va de pair avec une idéologie mettant au cœur de l’existence humaine la recherche effrénée du plaisir, du divertissement, de la réussite et des richesses. Cette indifférence s’accompagne en effet d’un matérialisme grossier qui range la prière dans la case des occupations inutiles et à éliminer. Le silence est perçu comme une menace, et la mode consiste à écouter de la musique (ou du bruit !) en permanence… L’inactivité et le repos deviennent insupportables si bien que l’on consulte à longueur de journée son smartphone… Tous ces phénomènes, s’ils traduisent le mal-être de l’homme contemporain, contribuent aussi à lui fermer l’accès à une vie spirituelle, à une vie d’intériorité qui exige de goûter le silence extérieur pour établir en soi le silence du recueillement.

Quelques chapitres plus loin dans l’évangile selon saint Matthieu, Jésus adopte un langage imagé et radical pour nous prémunir contre tout ce qui peut faire périr notre âme dans la géhenne :

Si ta main ou ton pied est pour toi une occasion de chute, coupe-les et jette-les loin de toi. Mieux vaut pour toi entrer dans la vie éternelle manchot ou estropié, que d’être jeté avec tes deux mains ou tes deux pieds dans le feu éternel. Et si ton œil est pour toi une occasion de chute, arrache-le et jette-le loin de toi. Mieux vaut pour toi entrer borgne dans la vie éternelle, que d’être jeté avec tes deux yeux dans la géhenne de feu.

Au-delà de ces images empruntées à notre corps, nous pouvons facilement trouver « le mal » que nous devons « retrancher » de nos vies pour vivre de la grâce de Dieu. De quoi devons-nous nous séparer, nous libérer, pour être davantage disponibles à la vie spirituelle ? A quoi pouvons-nous renoncer, avec l’aide de la grâce divine, afin de recentrer notre vie sur le Christ mort et ressuscité pour nous ?